Lettre 157 La démocratie en danger

Nous étions au bord d'un gouffre, nous avons fait un grand pas en avant (Félix Houphouët-Boigny)

Cette maxime peut-elle s'appliquer à la situation actuelle ?

Car le nouveau gouvernement dirigé par Netanyahou qui se vantait d'avoir mis fin à une coalition "de gauche" s'est aussitôt mis au travail.

Et son programme est pour le moins renversant.

Le nouveau ministre de la justice Yariv Levine n'y est pas allé par quatre chemins: Museler le pouvoir judiciaire qui avait pris la liberté de se mêler d'affaires politiques en annulant des décisions prises le gouvernement ou en invalidant des lois jugées excessives.

Comprenez mettre fin au gouvernement des juges.

La question n'est pas nouvelle et la France connait le même dilemme. Sous couvert d'interpréter la loi, les tribunaux finissent par la dévoyer.

Il s'agit pas moins de redéfinir les règles du fonctionnement démocratique et de la répartition des pouvoirs.

L'enjeu n'est pas des moindres.

Israël est régie par des lois dites fondamentales qui peuvent être modifiées par la Knesset à la majorité, mais n'a pas de constitution. 

Il n'y a donc pas de conseil constitutionnel qui veille à la conformité des lois.

L'ordre judiciaire est chapeauté par la cour suprême (Notre cour de cassation) que tout citoyen peut  saisir d'un recours lorsque le pouvoir exécutif porte atteint à ses droits. 

Régime parlementaire par excellence, la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu n'est qu'apparente: Le peuple élit ses représentants au parlement (La Knesset) et le chef du parti politique qui obtient la majorité des sièges, le cas échéant par voie de coalition, désigne les membres de son gouvernement.

Ainsi, le gouvernement dont ses membres siègent à la Knesset, dispose d'une majorité et cumule pouvoir exécutif et législatif.

La tentative actuelle de captation du pouvoir judiciaire mettrait fin à la seule démocratie du Moyen-Orient et donnerait à Netanyahu les pleins pouvoirs, dont celui de mettre un terme au procès pénal dont il est l'objet.

CQFD !!

Reprenant la définition restée célèbre de la démocratie donnée par Abraham Lincoln lors de son discours de Gettysburg: « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », le Likoud martèle qu'il est hors de question que les juges s'opposent à la volonté du peuple.

Qui t'as fait roi ? Telle est l'interpellation du Likoud envers les juges, car seule une tradition jurisprudentielle accorde aux juges le pouvoir de limiter celui de l'exécutif.

Cette dispute philosophique a une réalité: La nomination du patron du parti religieux SHASS comme ministre.


Aryé Déry est un vieux routier de la politique, ministre à de multiple reprises, mais condamné en mars 1999 pour corruption à trois ans de prison.

Il apporte à Netanyahu 11 mandats avec à la clé une majorité de 64 mandats à la Knesset. Il est donc incontournable et son parti le soutient contre vents et marées.

La question de son éligibilité rebondit dans la mesure ou il est à nouveau condamné pour fraude fiscale il y a un an, mais dans le cadre d'un accord avec le parquet, bénéficie d’une peine de prison avec sursis sur promesse de quitter la vie politique.

Mais il se représente avec succès aux dernières élections, violant ainsi son engagement.

C'est là que le bât blesse car la loi fondamentale prévoit qu'une personne condamnée à une peine de prison assortie d'une inéligibilité ne peut occuper les fonctions de ministre.

Or le tribunal n'a pas eut à statuer sur cette question en raison de la démission anticipée de Déry et de son engagement à se retirer de la vie politique.

Il y avait ici un vide juridique

Pour permettre sa nomination, le gouvernement a fait voter en décembre la loi "DERY" prévoyant que l'inéligibilité ne peut s'appliquer qu'aux peines de prison ferme.

Le voilà blanchi et en charge de deux portefeuilles, l’intérieur et la santé.

Mais cette nomination a été déférée à la cour suprême laquelle l’a invalidée la qualifiant de totalement déraisonnable et exigeant que Netanyahu le limoge.

Il a aussitôt été envisagé de le nommer vice premier ministre, qualité qui échappe à cette inéligibilité.

Mais la cour suprême a visé un autre moyen qui bloque tout subterfuge: L'impossibilité de revenir sur un engagement judiciaire ce qui implique qu'il quitte la vie publique.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et DERY a refusé de démissionner, de sorte que Bibi n'a eu d'autre solution que de prononcer sa révocation, tout en promettant de rechercher une solution pour le faire revenir aux affaires.

Au Likoud on crie au scandale estimant que les juges s'arrogent un pouvoir envers et contre la volonté du peuple. 

Aucun contre pouvoir ne devrait venir contrecarrer ce que le peuple a voulu. Mais qu’a t il véritablement souhaité avec son bulletin de vote ?

Et le ministre de la justice LEVINE y voit une nouvelle preuve de la nécessité de réformer la justice sur trois axes essentiels:

* Prendre la main sur la désignation des juges lesquels jusqu'à présent s'auto-désignent.

* Permettre à la Knesset d'annuler les décisions des juges par un vote à la majorité.

* Retirer aux juges la compétence sur la nomination des ministres et hauts fonctionnaires

Quant on sait que le budget de la justice est déjà entre les mains du pouvoir exécutif, il ne reste rien de l'indépendance de la justice.

Ainsi les pouvoirs législatif exécutif et judiciaire seraient entre les mains du gouvernement voire d’un seul homme.

C’est ici la définition caractérisée de la dictature.

C'est pourquoi les opposants à cette réforme se mobilisent et par deux fois des manifestations monstres ont eu lieu dans différentes villes du pays.

Il est même question de provoquer des grèves et de bloquer le pays.

Les juristes de tous bords n'ont pas de mots assez durs pour critiquer cette prise en main de l'organe judiciaire.

La présidente de la cour suprême Esther Hayut s'est fendue d'un discours au terme duquel elle a reproché au gouvernement de vouloir torpiller l'indépendance de la justice.

Critiquée pour avoir violé son devoir de réserve, elle incarne aux yeux du gouvernement l'activisme des juges taxés de gauchisme.

C'est de l'eau au moulin de LEVINE qui n'en demandait pas tant pour légitimer le projet de réforme qu'il soutient.

Dans l'immédiat, la justice a rendu son verdict et Netanyahu a du s'exécuter.

Au Likoud on se fait fort de contourner le blocus judiciaire selon une formule révolutionnaire qui rappelle le serment du jeu de paume: On nous met à la porte, on passera par la fenêtre; on nous ferme la fenêtre, on passera par le toit!

Il ne manque plus que la force des baïonnettes en référence à Mirabeau. (Allez dire à votre maître……etc.)

Plus que jamais le pays est divisé et la crispation est visible.




Il serait souhaitable que l'esprit des lois pénètre la société israélienne mais un dicton populaire soutient que le Français n'est pas un modèle. (Référence au boycott des armes par De Gaulle en 1967)

Et pourtant elle tourne!



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