Lettre 163 Le torchon brûle entre Jérusalem et Washington

La réforme de la Justice est suspendue.

En bon français, ça s’appelle reculer pour mieux sauter.

Rien ne semblait devoir faire reculer le ministre de la Justice Levine dans sa détermination de réformer l’institution judiciaire. Ni les appels répétés du Président, ni ceux de personnalités influentes, ni même les réserves inhabituelles de l’establishment américain. 

Les manifestations, malgré leur ampleur et les blocages des voies principales étaient simplement taxées de mouvements d’anarchistes.

Mais le gouvernement a du reculer face à la menace d’insoumission de l’armée.

Les pilotes de chasse de réserve active qui représentent 2/3 de l’effectif et qui consacrent bénévolement un jour par semaine pour exécuter des missions à haut risque, ont refusé de servir un état totalitaire si la réforme passait.

Les autres armes ont suivi le mouvement de menaces d’insoumission amenant le ministre de la défense Yoav Galant à tirer la sonnette d’alarme en demandant la suspension de la réforme. 

Yoav Galant en habit civil

Lui, le fidèle du Likoud, plusieurs fois ministre dans les gouvernements de Netanyahu, lui, l'ancien général commandant de la région sud y a conservé de solides amitiés et ne pouvait demeurer indifférent. 

Netanyahu lui a posé un ultimatum: Se soumettre ou se démettre. 

Alors que Bibi s’éclipsait pour un troisième week-end ( Paris, Berlin puis Londres) bien que le pays frisait le chaos, Galant s’est exprimé publiquement pour annoncer qu’Israël était en danger face aux risques d’agressions extérieures et que l’armée n’était plus aux ordres. Il a réitéré sa demande expresse de suspension de la réforme.

De retour au pays, Netanyahu a limogé son ministre sans ménagement ce qui a provoqué la ire des opposants qui ont aussitôt envahi les rues de jour comme de nuit.

La Histadrout, le syndicat unitaire, a décrété une grève générale et le pays a suspendu son souffle.

L’aéroport Ben Gourion a été fermé, magasins bouclés, services publics en berne….

Ce lundi, le peuple entier était suspendu à l’allocution du premier ministre lequel a obtenu l’accord des membres de la coalition pour geler la réforme alors que la Knesset va suspendre ses travaux pour fêter Pessah’ la Pacques juive, laquelle commémore la sortie d’Egypte.

Les parties ont formé une commission politico juridique qui devra rechercher un compromis.

La question reste de savoir si la démocratie se négocie.

La réforme porte sur trois axes:

1) Nomination des juges

Le gouvernement estime qu’il doit avoir la majorité dans la commission de nomination. Le droit de faire et défaire les juges

2) Soumission des conseillers juridiques du gouvernement

Ce corps spécifique à Israël adjoint à chaque ministre pouvait s’opposer et bloquer les décisions politiques estimées illégales. La réforme en fait de simples conseillers privés choisis par les ministres et sans aucun pouvoir.

3) Limitation de la compétence de la Cour Suprême sur le contrôle des lois et possibilité du parlement de confirmer les lois annulées à la majorité simple.

La votation de la réforme doit reprendre en fin d’été qu’il y ait ou non consensus.

Le plus difficile à convaincre fut le ministre de la sécurité intérieure Ben Gvir lequel a menacé de faire tomber la coalition en cas de suspension. 

Il a obtenu en contrepartie de son acceptation la création d’une garde nationale placée sous ses ordres directs, ce qui n’est pas le cas de la police qui dépend d’un super préfet.

Cette milice fait craindre les pires dérives et rappelle les heures sombres de l’occupation française. Selon lui, elle aurait pour mission de combattre la criminalité et le terrorisme ce qui relève pourtant du seul rôle de la police nationale. 

Serait-ce les prémices d’une police politique de sinistre mémoire. On sait les dérives de ces organes lorsqu’ils sont le bras armé d’une idéologie.

Dans l’immédiat, c’est un retour à un calme précaire et les pourparlers ont commencé. On ignore le sort définitif réservé au ministre de la défense sortant, aucune désignation nouvelle n’étant pressentie. Son retour aux affaires serait un signal fort au profit des opposants.

A l'étranger, Joe Biden est fermement opposé à la réforme et appelle de ses vœux son abandon pur et simple et refuse en l’état de recevoir Netanyahu.

La fracture avec Bibi est plus profonde qu’il n’y parait. Bien qu’ayant répondu aux demandes pressantes des Américains en suspendant la réforme pour entrer en négociation, ceux-ci demeurent en froid avec l’équipe en place.

On peut dire que le torchon brûle et la pression américaine doit être prise au sérieux.

En trois mois, Bibi a réussi à démolir des relations diplomatiques stratégiques et amicales. Devenu persona non grata aux USA, il lui faudra passer sous les fourches caudines pour revenir à meilleure fortune.

Israël n’est pas en cause. C’est la radicalité du gouvernement qui pose problème aux Américains. Joe Biden considère que Bibi n’est plus l’homme de la situation car il se soumet à toutes les exigences de ses partenaires pour assurer sa survie. 

C’est la raison pour laquelle les USA pèsent de tout leur poids pour contrer la politique d’annexion de la Judée-Samarie et d’éviction du contrôle des Juges. Ben Gvir et sa politique leur donne des boutons!

Ils militent pour l’annulation du limogeage intempestif du ministre de La Défense lequel est toujours en fonction faute de décision écrite expresse.

Aucun gouvernement israélien ne peut se targuer de se passer de l’aide américaine laquelle pèse 4 milliards de dollars par an (38 milliards sur 10 ans). Le dôme de fer, protection indispensable contre les bombardements est alimenté matériellement et financièrement par les USA. 

Une commande d'avions de ravitaillement en vol, nécessaires pour une attaque aérienne à longue portée (On pense bien sûr à l'Iran) doit être livrée.



Preuve que la politique d’Israël passe par les méandres de la Maison Blanche. "Il n’y a plus d’abonné au numéro que vous avez demandé". La ligne directe de Bibi est coupée. 

Mais alors que l’Iran renforce ses liens avec l’axe sino-russe et entame une réconciliation avec son ennemi sunnite l’Arabie Saoudite, Israël demeure l’allié incontournable. 

Malgré l’affaiblissement de l’influence américaine au Moyen-Orient et en général dans le Monde, Israël ne peut se payer le luxe d’une fâcherie avec l’oncle Sam, et les rodomontades de Ben Gvir affirmant qu’Israël ne reçoit d’ordres que de ses électeurs doivent être qualifiées de populisme de bas étages.

Il faut donc demeurer vigilant car la commission paritaire chargée des négociations risque d’exploser en vol tant les divergences sont importantes, sans oublier que rien ne permet de croire que la reculade du gouvernement est sans arrières pensées.

En parlant de pensées:

Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices, suspendez votre cours ! Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours !

Le lac Alphonse-de-Lamartine


Le texte évoque un séjour de Lamartine à Aix-les-Bains en 1816 et à sa liaison avec Julie Charles, une jeune femme qu’il sauva de la noyade sur les rives du lac du Bourget.

Il faut laisser le temps au temps.

Ainsi Israël sera sauvée d'une noyade en Absurdie, encore qu'en Mer Morte la noyade n'est pas une opération aisée.

Fluctuat nec Mergitur aurait dit Macron qui ne sait comment sortir de l'ornière où il s'est aventuré. Mais qu’allait il faire dans cette galère!

Serait-il plus extrémiste que le couple Netanyahu-Ben Gvir ? Il faut parfois savoir reculer pour mieux sauter le Rubicon.

Le général Bonaparte disait en plaisantant qu'avec les femmes la seule victoire c'est le retrait.

Comprenne qui pourra!

Une histoire drôle pour finir.

On raconte que Golda Meir a rendu visite à Richard Nixon en 1973, la veille de la guerre du Kippour et voyant une kyrielle de téléphones de couleurs différentes sur le bureau ovale l'interrogea sur leur destinataire. 

Nixon: Le blanc c'est pour ma femme, le noir c'est pour Moscou en cas de crise.

Meir: Et le rouge? 

Nixon: C'est pour le bon dieu quant je suis perdu.

Meir: Ca tombe bien, mon pays est au bord de la guerre.

Elle prend le combiné et après 30 secondes raccroche et demande combien elle doit.

Nixon lui présente une facture de 50.000 dollars.

Elle écrase une larme et paie.

Un an plus tard, après une tournée dans les pays arabes, Nixon se rend à Jérusalem et s'étonne de ne voir que deux téléphones dans le bureau de Golda.

Golda: Le noir c'est pour appeler mes ministres, le blanc c'est pour appeler D.ieu.

Nixon décroche et parle pendant une heure sans s'inquiéter du prix.

En raccrochant il demande la facture et s'étonne du prix: 1,50 livre israélienne (1 euro)

Golda le regarde avec un air coquin et lui explique: "Ici à Jérusalem c'est une communication locale!"

Toute comparaison avec la situation actuelle n'est que pure coïncidence. Les services techniques sont en route.


Commentaires

  1. Francis Caen31/03/2023 11:42

    Trop drôle et tellement instructif mais cher cousin depuis quand l’oncle Sam a t-il changé d’identité pour devenir l’oncle Tom?

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  2. Arriver à placer Lamartine et son Lac du Bourget au milieu de cette galère israëlienne tient de la gageure et de l'exploit!!bravo.
    Je ne saurais m'en plaindre puisque ce lac de Savoie se trouve être celui de mon enfance...et donc la metaphore bien qu'osée m'inspire et m'émeut.
    Lamartine y pleurait sa défunte amante trop tôt disparue.Un amour de vacances puisqu'ils n'étaient pas du coin.
    Que risque t-on de pleurer demain ? L'Etat de droit et la democratie?
    Tout fout le camp décidemment.
    Même le romantisme.
    .

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