Lettre 180 Le gouvernement face à ses juges

 Mardi noir à la Cour Suprême.

Israël retient son souffle.

Que vont décider les Juges?

La Knesset a voté en juin dernier une loi interdisant à la Cour Suprême de s'immiscer dans les affaires politiques, savoir annuler les lois ou les décisions prises par le gouvernement jugées déraisonnables.

C'est la pierre angulaire de la réforme judiciaire par la suppression du seul verrou qui limite les pouvoirs du gouvernement.

Un simple exemple.

Après les dernières élections, Netanyahu a négocié un accord de coalition avec le parti religieux SHASS prévoyant d'accorder un portefeuille ministériel majeur à son leadeur Aryé Déry. 

Il fut nommé vice premier ministre et ministre de l'intérieur le 29 décembre 2022.

La Cour Suprême a annulé cette nomination considérée déraisonnable motif pris des condamnations pénales à lui infligées, dont la dernière en date pour fraude fiscale.

Depuis lors, le gouvernement est à la manœuvre pour modifier la loi et permettre à celui-ci de retrouver son poste ministériel.

Il est assez évident que ce tour de passe-passe juridique serait à nouveau retoqué par la haute juridiction considérant qu'il s'agit d'une loi "personnelle et sur mesure" doublée d'un usage abusif du pouvoir législatif.

Il faut donc tordre le cou aux juges empêcheurs de tourner en rond!

Autre exemple, la révocation du directeur général de la Poste, sans motif et pour seul but inavouable de d'y placer l'un des siens.

La Cour Suprême a suspendu cette décision et devra se prononcer sous peu sur le fond.

Nous sommes ici au cœur du débat.

La démocratie suppose que les élus du peuple puissent développer librement leur programme politique dans la limite des principes et textes fondamentaux qui sont le fondement de la nation. 

A titre d'exemple, Israël est la nation des Juifs. Ce qui ne veut pas dire que les autres religions ou ethnies ne disposent pas des mêmes droits, avantages ou obligations, sauf dérogations particulières. (Par exemple l'exemption du service militaire pour les arabes selon le principe "un frère ne tire pas sur son frère")

Il faut donc qu'il existe un contrôle de légalité indépendant.

Jusqu'à présent la Cour Suprême jouait ce rôle sans que les limites de sa compétence ne soient clairement définies par la loi.

Cette lacune a permis à cette juridiction d'étendre progressivement son champ de compétence ce qui suppose qu'une définition claire soit établie.

Mais la nouvelle loi ne pose aucune définition, elle évince radicalement la question.

Les règles étant posées, que va t il se passer mardi?


La conseillère juridique du gouvernement Gali Baharab-Miyara avait alerté celui-ci sur l'illégalité de la loi, mais celui-ci n'en a pas tenu compte.

Elle est sensée défendre la position du gouvernement dans le cadre du recours déposé par les organismes de défense de la démocratie. Ceux-là mêmes qui organisent les manifestations depuis six mois.

Elle vient de déclarer qu'elle se range aux côtés des requérants car cette loi présente un danger extrême pour la démocratie.

Le gouvernement a donc choisi un avocat différent, Ilan BOMBACH lequel a déclaré ni plus ni moins que si la Cour Suprême commettait l'erreur d'annuler la loi, elle prendrait le risque de provoquer l'anarchie.

Des ministres et députés du Likoud ont d'ores et déjà affirmé qu'ils ne se soumettraient pas à un tel dictat illégal.

Pourquoi? Parce que cette loi modifie une loi fondamentale ce qui ne relève pas de la compétence de la haute cour. Il n'y a aucun précédent.

On nage ici en plein délire juridique, car personne ne peut définir ce qu'est une loi fondamentale, ni comment elle peut être votée ou modifiée.

En l'occurrence, la loi du 24 juillet en question a été votée à la majorité simple (64 sur 120) ce qui suppose qu'il suffirait d'affubler un texte du chapeau "loi fondamentale" pour l'exonérer de tout contrôle.

Jusque la tout va bien.

Autre difficulté qui n'a guère été évoquée: Comment une juridiction aussi impartiale soit elle peut statuer sur une loi qui la concerne directement?

N'y a t il pas conflit d'intérêts; juge et partie ?

La Knesset met les juges au piquet et ceux-ci n'acceptent pas la nouvelle règle du jeu! Pouce!!

Une seule réponse: Si le postulat veut qu'il doit exister un contrôle de légalité et qu'aucun autre organisme n'existe, il faut bien que la juridiction en place s'en occupe.

C'est donc bien démontrer que cette loi a détricoté le système en vigueur sans instaurer un organisme de contrôle idoine tel le Conseil Constitutionnel français.

Et c'est bien la le rôle d'une réforme judiciaire.

Organiser et non désorganiser par le vide.

En cela la cour suprême tire sa légitimité pour statuer face à un vide juridique que cette loi aggrave. 

Reste l'argument non négligeable de la sacro-sainte séparation des pouvoirs.

Elle implique avant tout l'indépendance des juges alors que précisément le pouvoir exécutif veut avoir la main sur la désignation de ceux-ci.

Mais le pouvoir judiciaire ne doit pas davantage s'investir dans la composition du gouvernement ou influencer les élections.

Par contre séparation des pouvoirs ne veut pas dire interdiction de juger, ce qui est l'essence même du pouvoir donné aux juges.

Aux politiques de gouverner, aux juges de contrôler la légalité de leurs actes. C'est cela la démocratie.

L'équilibre des pouvoirs, chacun dans son rôle.

Soyons plus précis: La Cour Suprême ne va pas décider à la place de la Knesset. Tel n'est pas son rôle et la se trouve la limite de ses pouvoirs.

Tout au plus peut-elle annuler tout ou partie d'un texte de loi. Mais elle ne peut ni l'amender, ni le modifier. Il appartient au législateur de revoir sa copie.

Ainsi ne peut-il  lui être reproché d'empiéter sur les plates-bandes du gouvernement lequel rappelons le, siège et dispose de la majorité au parlement.

Si en plus il peut dominer le pouvoir judiciaire, la seule démocratie du Moyen-Orient disparait corps et biens.

Mais le chaos ne se produira pas mardi prochain.

La Cour Suprême siègera en formation plénière, soit les 15 juges composant celle-ci afin de lui donner un maximum de solennité ce qui n'est jamais arrivé dans le passé.

Chaque juge votera puis motivera sa décision.

Les fêtes de Ticheri (Rosh ha Shana et Yom kippour) seront un temps de réflexion pour les juges et de respiration pour le peuple. Les délibérations prendront du temps.

Certains naïfs imaginent que ce laps de temps peut être mis à profit pour trouver un terrain d'entente.

Mais la démocratie ne se négocie pas.

Par contre il est urgent d'établir une constitution, celle même que Ben Gourion appelait de ses vœux en 1948 mais que des questions existentielles  et de survie du pays ont retardé.

Ne comptons pas sur ce gouvernement pour couper le branche où il est assis. Arcbouté sur sa majorité à la Knesset, il pense sans rire qu'il est en droit de bouleverser la planète.

Telle serait la définition de la démocratie.

Une simple majorité suffirait.

Gageons que les juges suspendront cette loi sans l’annuler et renverront la Knesset à réflexion et recherche d’un consensus que tous appellent de leurs vœux.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

En vérité je vous le dis…Mais il fut crucifié.

Bibi prend garde!

Commentaires

  1. Je partage ton analyse. Bravo.Comment faire coexister une démocratie et une théocratie. Par la constitution ?

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  2. Clair comme de l’eau de roche ! Merci

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    1. Désolé d’etre anonyme a cause d’Apple et/ou google.
      La demograpie est en faveur des religieux ; qui va s’investir en Israel en sachant qu’une theocratie arrivera toi ou tard.?
      Il faut que les deux parties sociologiques en Israel fassent une partie du chemin; on peut rever ?

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