Lettre 221 La cour suprême déclare la guerre au gouvernement

C’est ni plus ni moins qu’une déclaration de guerre.

Une bombe judiciaire.

La réforme judiciaire était passée aux oubliettes tant la guerre avait occupé tout l’espace médiatique.


Cour Suprême en sa formation plénière

Et voila que par une totale surprise, la procédure en cours vient de ressurgir avec une décision historique: Annulation par la cour suprême d’une loi limitant sa propre compétence.

Rappel des faits.

La Cour Suprême avait développé le principe de « raisonnabilité » que les lois votées par la Knesset se devaient de respecter.

Le gouvernement estimait que les juges s’étaient arrogés le contrôle de légalité des lois votées par la Knesset hors tout fondement légal.

L’annulation de lois considérées comme déraisonnables au regard des principes fondamentaux était regardée comme une atteinte à la démocratie. Selon la coalition, elle tirait sa légitimité du peuple que nul juge ne pouvait limiter.

La réforme judiciaire avait pour but de mettre la Cour Suprême hors jeu de sorte que tout contrôle des lois et des décisions du gouvernement devenait impossible.

L’opposition s’est mobilisée contre ce qu’elle considérait comme un changement de régime devenant totalitaire et anti démocratique.

Elle avait refusé de participer au vote.

Dans tout régime démocratique il y a pouvoir et contre pouvoir avec un équilibre fragile qui ne doit pas basculer dans le « gouvernement » des juges.

Inversement la suppression du contrôle de légalité de lois déraisonnables mettait Israël en danger, dans les mains d’extrémistes de droite avec un programme liberticide et religieux.

Sur le plan juridique, la question était fort délicate. Une explication s’impose pour bien comprendre les enjeux.

Israël est dépourvue de constitution. Mais des lois successives dites fondamentales ont gravé dans le marbre les grands principes de l’Etat et son caractère juif et démocratique.

Ensemble, elles forment la base constitutionnelle du pays, elles sont intemporelles, intangibles et supérieures aux lois ordinaires.

Il n’y a pas de conseil constitutionnel de sorte que la Cour Suprême veille à ce que les lois votées par la Knesset soient compatibles avec cette norme supérieure.

L’une de ces lois fondamentales régit l’ordre judiciaire et son organisation.  

La coalition a décidé de la modifier par un codicille interdisant à la Cour Suprême d’annuler les lois ou décisions du gouvernement motif pris de leur caractère déraisonnable.

Cette loi du 24 juillet 2023 a fait l’objet d’un recours et a été déférée au contrôle de la Cour Suprême.

La question était de savoir si la Knesset par une simple majorité de 64 voix sur 120 pouvait modifier une loi fondamentale et se défaire de tout contrôle de légalité.

Inversement, la cour suprême pouvait elle se déclarer compétente en matière de loi fondamentale alors qu’il est de principe qu’elle échappe au contrôle des juges de part son caractère intangible.

Ces questions ont fait couler beaucoup d’encre. Nous feront l’économie de la notre.

Même le simple étudiant de première année de droit constitutionnel comprendrait que si la loi fondamentale échappe au pouvoir des juges, sa modification à la majorité simple est forcement soumise au contrôle de légalité et se doit d’être raisonnable. 

La présidente de la Cour Suprême a résumé son jugement:

« En modifiant une loi fondamentale d’une manière qui nie ou contredit directement les principes fondamentaux d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique, il relève de la compétence de la cour de déterminer si la Knesset a outrepassé son autorité ».

Félicitations à ceux qui ont compris, les autres sont admis au redoublement!!

La Cour Suprême a décidé d’annuler cette loi par une faible majorité de 8 juges contre 7. Par contre 12 juges sur 15 ont admis la compétence de la cour en matière de loi fondamentale.

Cette décision a aussitôt été dénoncée comme violant la volonté du peuple qui avait confié la majorité à une coalition.

Mais celle ci devra se soumettre ou se démettre et provoquer des élections. 

La presse s’est érigée contre la dictature de la majorité.

C’est le signal d’une fronde anti coalition qui va gronder. L’heure des comptes approche. 

Netanyahu a qui le peuple promet une retraite prochaine sait que ses jours sont comptés. Il avait ressorti son éternel joker: "En temps de guerre point de division". Il a demandé le report de l’arrêt. En vain.

Mais au sein du Likoud la fracture est sensible. Certains n’hésitent pas à affirmer que la réforme pilotée tambour battant par le ministre de la justice Lévine est morte et enterrée.

Lévine accuse la cour suprême de faire ressurgir la division du peuple en pleine guerre. Il ne désarme pas et cherchera certainement à aboutir par des voies détournées en modifiant le mode de nomination des juges.

On sait que la guerre du 7 octobre a éclaté aussi parce que le Hamas avait détecté une faille dans l’unité nationale jusqu’au cœur des Milouyimnicks (Réservistes) qui ont refusé de servir un État totalitaire.

Netanyahu les a affligé du nom d’anarchistes.

Mais il avait reçu plusieurs avertissements des services de renseignement lui indiquant que la réforme provoquait une grave faille dans la sécurité et qu’une attaque était à redouter.

Il a préféré poursuivre une réforme contre vents et marées. La commission d’enquête qui ne tardera pas à être nommée pointera du doigt cette surdité politique de celui qui se présentait comme le seul pouvant assurer la sécurité.

S’il n’est pas responsable pénalement pour le massacre du 7 octobre, il est responsable politiquement et se devait de démissionner.

Mais la cour ne s’est pas arrêtée en si bon chemin.

La procureur générale a été saisie d’une requête tendant à déclarer Netanyahu impropre à occuper le poste de premier ministre en raison des poursuites pénales dont il fait l’objet.

La Knesset a aussitôt voté une loi modifiant une autre loi fondamentale en limitant les cas d’incapacité pour seul motif de santé et par une décision de la Knesset à la majorité renforcée.

La cour suprême vient de rendre son arrêt et par une majorité de 6 juges contre 5, elle a reporté l’application de cette loi à la prochaine mandature.

Elle a considéré que la Knesset avait fait un usage abusif de son pouvoir législatif et dans le seul intérêt personnel de Netanyahu.

Lévine accuse la cour de jeter un pavé dans la mare de la division alors que nos soldats se battent sur le front.

 Et de dire "les chiens aboient, la caravane passe" (Ce proverbe existe aussi en hébreu!)

Et l’opposition de déclarer: « Heureusement qu’il y a des juges à Jérusalem ».

Et pendant que Bibi se fait des cheveux gris, son fils Yaïr compare la Cour Suprême au tribunal pénal international de Hague.

Mais on a bien compris que dans les deux cas, il suffira de remplacer un juge pour que ces décisions s’inversent. A cet égard, la présidente Hayout, celle qui fit campagne contre la réforme judiciaire vient de prendre sa retraite. Sans elle, la cour sera bien moins militante.

Dans l’immédiat, la procureur générale maintient sa position initiale au terme de laquelle elle considère que les procédures pénales en cours ne sont pas de nature à provoquer la destitution de Netanyahu, sauf s’il utilise son pouvoir pour influer sur le sort desdites procédures.

Un façon de remettre les juges à leur place.

Par ces deux décisions, la Cour Suprême a épargné aux soldats le risque d’être poursuivis devant la cour pénale internationale pour crime de guerre. Car en affectant l’indépendance de la Justice, la réforme aggravait ce risque.

Deux choses sont urgentes et appellent un consensus: Réformer l’organisation judiciaire et rédiger enfin une véritable constitution et pourquoi pas, mettre en place un conseil constitutionnel.

Mais pour cela il faudrait un Ben Gourion ou un grand Charles.

L’après guerre promet bien des défis.

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Sur le sujet, voyez les lettres N°160 et 171


Commentaires

  1. On a bien compris mais quel embrouillamini que ce regime constitutionnel ( si on peut dire..) en Israël,
    Le droit y perd quand même un peu son latin ( si l'on peut dire aussi...)
    Et puis la majorité des juges est plus que fragile.
    Ça fait désordre à force!!

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