Lettre 252 Une société israélienne fracturée

Israël est une démocratie dans son plein sens du terme. La société y jouit d'une liberté d'expression totale. Bien que le pays soit en guerre, la censure militaire est quasi inexistante.

A tel point que les médias ne cessent de critiquer ouvertement le gouvernement, sa politique, sa stratégie, sa façon de gouverner.

Et malgré le tombereau de critiques, la coalition poursuit son bonhomme de chemin. Rien en semble devoir la perturber.

Voici un exemple parmi tant d'autres, d'un article paru ce vendredi dans le journal le plus populaire du pays, Yediyot Ha'aronot (Les Dernières Nouvelles)


Général Gil REGEV 

Ce général en retraite est né le 22 juin 1951 en Israël. Il fut l'un des pilote de l'escadrille mythique 201qui a abattu le plus de Mig lors de la guerre du Kippour en 1973, mais qui a aussi subi le plus de pertes.

Dans ses dernières fonctions, il fut chargé de la localisations des soldats disparus lors de la guerre du Kippour et du Liban.

Il participa il y a deux ans à un documentaire télévisé "La Une" sur les opérations aériennes de cette escadrille lors de la guerre du Kippour.

Lors d'une interview en fin de film, il tient des propos qui ont fait scandale: "Il n'est pas bon de mourir pour notre pays", prenant ainsi le contrepied des dernières paroles tenues par un héros israélien, mort les armes à la main en 1920, Joseph Trumpeldor. 

Ses dernières paroles furent: "Qu'il est bon de mourir pour son pays". A l'époque Israël n'existait qu'en projet.


Joseph Trumpeldor 
Soldat juif de l'armée russe qui émigra en Palestine en 1912 et fut un activiste sioniste favorisant l'émigration des juifs vers la Palestine. Il fut tué à Tel Haï lors d'une escarmouche en défendant un kibboutz attaqué par des arabes

En prolongement de cette affirmation, la journaliste Sima Kadmon revient vers le général Regev afin qu'il s'explique sur son affirmation et exprime son opinion sur les derniers évènements.

Ses propos reproduits (partiellement) ci après sont partagés par de nombreux Israéliens. Ils démontrent combien la société israélienne est fracturée, combien le moral patriotique proverbial est en passe de sombrer alors que le Monde considère Israël comme un pays colonialiste et ne respectant pas le droit international.
En voici la traduction libre (très libre!) de ses propos.

" Sous le gouvernement actuel, il n'est bon ni d'être capturé, ni de mourir, ni de vivre.
C'est un gouvernement qui nous a dirigé les yeux grands ouverts vers la pire catastrophe de l'histoire du pays. Les personnalités qui composent cette coalition sont grotesques et scandaleuses à tel point que parfois je ne suis pas sur qu'elles sont réelles...... "(Le ton est donné)
"Aux yeux de ce gouvernement, le changement de régime politique (la réforme judiciaire) devait lui  garantir de gouverner pour de nombreuses années, conserver les territoires occupés par une vision messianique et construire le troisième Temple.
Je ne veux pas être entrainé dans ce plan qui prévoit d'affaiblir l'Autorité palestinienne avec le renforcement du Hamas.
Les catastrophes arrivent en raison de la conjonctions de plusieurs paramètres. Mais le 7 octobre, la supposition erronée du gouvernement que le Hamas était calmé et n'était pas intéressé par une guerre, a contaminé les services de sécurité comme le virus du Corona. C'est pourquoi Tsahal a déplacé ses troupes vers la Judée Samarie. L'armée a fonctionné autour de Gaza en mode "jour de fêtes".
Les habitants autours de Gaza considéraient Bibi comme "l'Homme de la sécurité", que la clôture de sécurité est infranchissable, que Tsahal est l'armée de défense d'Israël. (Tsahal sont les initiales de "Armée de défense d'Israël" = Tsva hagana le Israël)
Mais un certain Sinouar s'est préparé, a vu et profité des circonstances........"
"Mon petit fils a 6 ans, il se passera encore 12 années avant qu'il ne soit enrôlé. Si ce gouvernement est toujours la, mon petit fils ne sera pas soldat pour la simple raison qu'il ne sera plus la!
Israël est une épingle sur la carte du Monde. Petit pays entouré d'ennemis renforcés au fil des années, dépendant économiquement et militairement des USA, mais qui s'évertue à émettre des cris de souris sur le dos d'un éléphant.
Un pays sans profondeur stratégique et physique, sans stock d'armes, sans tanks et sans effectif combattant suffisant pour répondre à la menace potentielle.
Le plus grave, c'est que l'économie israélienne s'appuie sur une poignée de jeunes hommes talentueux, entreprenants, inventeurs, libéraux, avec une valeur ajoutée énorme pour le pays. La plupart se retrouve le samedi soir aux manifestations de la place Kaplan (Contre le gouvernement). S'il ne se produit pas un changement essentiel ces entrepreneurs ne resteront pas ici et sans eux le pays est perdu. Cette jeunesse est l'espoir du pays. Il nous incombe de changer ce gouvernement qui a échoué et a amené la catastrophe précitée."
" Depuis la guerre des six jours (1967) nous n'avons obtenu aucune victoire. Même lors de la guerre du Kippour (1973) celui qui a gagné c'est Anouar el Sadate qui nous a appris un chapitre sur la politique (En faisant la paix contre le Sinaï). 
Le gouvernement actuel et surtout ce lui qui le dirige, considère que mettre fin à la guerre c'est aller tout droit vers des élections. Et c'est dont il a le plus peur."
" L'obstacle à la négociation pour la libération des otages n'est autre que Netanyahu. Comme Sinouar qui comprend qu'un accord sans retrait de Tsahal de Gaza est pour lui un arrêt de mort, Netanyahu considère qu'un retrait de Gaza et le retour des otages met fin à son pouvoir.
C'est cette conjonction d'intérêts entre ces deux décisionnaires qui fixe le destin des otages.
La preuve en est qu'en pleine négociation, un responsable gouvernemental a décrété qu'avec ou sans accord, l'opération de Rafah est maintenue. Que faut-il de plus pour torpiller la négociation."

" Cette coalition d'extrémistes l'entoure et l'empêche de procéder à tout changement:  Pas d'accord pour les otages, pas de coopération avec l'Autorité palestinienne, pas de mise en place d'une force multinationale avec l'aide américaine, égyptienne et d'Arabie Saoudite, pas de plan pour le jour d'après. Pour lui le jour d'après se réduit à "Après moi le déluge!"
" On n'éradiquera pas le Hamas en entrant à Rafah même si on en revient avec la tête de Sinouar sur une pique. Le Hamas est une idéologie et on ne détruit une idéologie qu'en la remplaçant par une autre; une autre autorité, une autre direction."
" Il faut concrétiser un accord même en acceptant un retrait total. Voyez quelles en sont les avantages:
plus de soldats morts; plus de civils innocents frappés; plus de crise humanitaire; et surtout la position d'Israël dans le monde change du tout au tout.
Entrer à Rafah fera beaucoup de bruit pour rien.
Netanyahu prétend que si on n'anéanti pas les derniers bataillons du Hamas, la catastrophe du 7 octobre pourrait se répéter. Il n'y a pas de plus grand mensonge: Tsahal s'est endormi pendant la garde. Il suffit de réparer cette erreur pour mettre fin à ce danger."
" De tout endroit d'où un tir proviendra, il faudra répliquer par un tir ciblé même s'il y a des victimes civiles collatérales. C'est ce que nous aurions du faire la nuit du 14 avril contre les Iraniens. Il faut faire usage de la force, c'est le seul langage compris au Moyen-Orient."
Comment changer le gouvernement?
"Par un soulèvement populaire dont nous voyons actuellement les prémices. Quand les premiers cercueils d'otages vont arriver, personne ne restera chez lui. Tous sortirons dans les rues. C'est de la rue que viendra la chute du gouvernement.
Je me demande que doit il encore se produire pour que ce château de cartes s'effondre? Quand le peuple va t il enfin comprendre que tout n'est que mensonges. Quand finira t on par leur dire "Daï, leh'ou habaïta" (Ca suffit, foutez le camp)".

" La victoire de la guerre des six jours a ajouté une catastrophe nationale: l'occupation. Nous devons nous séparer des Palestiniens. Leur histoire est incompatible avec la notre et nous ne pouvons pas vivre ensemble sur la même terre. Nous avons un pays. Au lieu de défendre nos frpontières légales, nous accaparons des terres en abandonnant les nôtres.
La théorie de la séparation est le cauchemar de l'extrême droite. La question n'est pas de savoir si oui, mais quand. Il n'y a pas d'alternative.
Je ne parle pas de paix, mais de coexistence cote à cote.
Gaza fait partie de la Palestine. Il fut nous séparer de ces territoires alors que nous en sommes maître. C'est le moment. Mais pour cela il faut un autre gouvernement, ce qui ne parait pas devoir se faire dans un avenir proche."
..........................................................................

Fin de la traduction.
Et encore et toujours la même question lancinante: comment en est on arrivé là?
Nous parlons ici d’un personnage remarquable qui a consacré sa vie à la défense du pays et qui ne le reconnaît plus.
Selon lui, le pays a changé de visage. Au point de conseiller à son petit fils de le quitter.
On peut l’accuser d’être un chantre du défaitisme, d’encourager à la désertion.
A t il perdu la tête? Non, pire que ça, il a perdu son pays pour lequel il a risqué sa vie sans compter.
Tout semble résulter d’une opposition politique. Simple divergence? Ou opposition fondamentale?
Le Moyen-Orient est une région où la violence est un outil au service de la religion. Sans limite. Pas de quartier.
La société israélienne semble avoir épuisé son arsenal diplomatique pour pratiquer la même stratégie que ses voisins. Pour survivre. Tel Aviv, Jérusalem ne sont ni New York ni Londres, ni Paris.
« Si tu es à Rome, vis comme les Romains » (Citation de Ambroise de Milan en référence au voyage de saint Augustin à Rome en 430)


Commentaires

  1. L'histoire se répète... heureusement qu'il y des personnes avec du bon sens et pas d'intérêt personnel. J'espère que le dénouement sera à la hauteur.

    RépondreSupprimer
  2. Il n’appartient pas à un juif qui vit hors d’Israël d’émettre des jugements de valeur sur les propos de ceux qui ont risqué leur vie pour ce pays.
    Mais ce que nous devons dire, en tirant les leçons de notre longue histoire et des exils successifs, c’est, qu’avec de telles visions du pays, il arrivera de nouvelles larmes et … je ne veux ni ne peux exprimer le fond de ma pensée. Tout le monde aura compris. Cet officier supérieur expérimenté ne le sait-il pas ? Les Israéliens sont pourtant férus d’histoire !

    RépondreSupprimer
  3. L'espoir est vain et fou lorsque chaque jour montre l'impasse dans laquelle ses dirigeants ont mené Israel avec une determination suicidaire alors que ses ennemis mortels se renforcent dans leurs convictions et les soutiens se defaussent.
    La guerre telle qu'elle est menée conduit dans le mur et fragilise Israel chaque jour un peu plus.
    Un nouvvel exil se profile.
    Hélas.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour cette fine analyse et de nous montrer qu'Israël est multiple. En France, c'est le Crif , représentant inconditionnel d'Israël qui parle..quelque soit sa politique. Nous devrions relayer d'autres opinions pour bien montrer que tous les Israëliens ne sont pas des "supporters" du gouvernement Netanyahu.
      Mais comment faire ? Et tous ces jeunes qui manifestent, eux risquent de se faire récupérer. Dslé de parler de ça et pourtant, ça pourrait peut-être aider Israël..? N'y a-t-il aucun levier institutionnel pour "empêcher" ce gouvernement ?

      Supprimer
    2. Les Juifs dans le monde doivent apporter un soutien inconditionnel ou s’abstenir.
      Car en face, il y a une unité pour nous combattre. Se diviser serait faire montre de faiblesse. En Israël, le combat politique bat son plein. C’est naturel même si certains pensent que c’est malsain en temps de guerre. Tout est politique, même le refus de négocier pour libérer les otages.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Lettre 189 Journal de guerre J+8

Lettre 229 L’UNRWA au service du terrorisme

Lettre 193 Journal de guerre J13+14